« C’est de la haute couture, mais c’est aussi la réalité » : une conversation entre Jean Paul Gaultier et son nouveau designer invité, Julien Dossena.

« C’est de la haute couture, mais c’est aussi la réalité » : une conversation entre Jean Paul Gaultier et son nouveau designer invité, Julien Dossena.

JPG : Je suis flatté, et maintenant qu’est-ce que je vous dis ? Il y a beaucoup de choses à analyser. Je devrais peut-être y jeter un coup d’œil (rires). C’est excellent.

Donc, Jean Paul, vous n’avez pas participé à cette visite des archives ?

JPG : Non, pas du tout. Tout le concept (de cette collaboration couture) est de s’appuyer sur un créateur invité dont je respecte le talent. Je lui laisse donc une totale liberté. Il n’y a pas d’indications ou quoi que ce soit, car j’imagine que si je devais travailler avec une autre maison, j’aurais peut-être envie d’être guidé ; mais il vaut mieux ne pas l’être, car cela finit par vous influencer, alors qu’en réalité, l’important est d’avoir sa propre vision. Il n’est pas nécessaire d’influencer (le designer invité), car cela l’oblige à essayer de vous plaire.. Ce que je veux, c’est sa propre interprétation, sa vision. Il faut que les choses évoluent, on ne peut pas se contenter du même Jean Paul Gaultier. Mais peut-être que je viendrai vous consulter pour quelques petites choses pour le défilé (rires).

JD : C’est formidable comme vous êtes généreux et surtout comme vous savez à quel point il est nécessaire d’avoir une liberté de création. Laisser un autre designer interpréter votre travail pour moi est un signe de grande confiance en soi.

JPG : J’ai toujours aimé la liberté ; travailler pour une grande maison ou un autre nom, c’est autre chose.

Hermès, prêt-à-porter automne 2006

Style.com

Hermès, prêt-à-porter automne 2008

Daniele Oberrauch

Hermès, prêt-à-porter automne 2009

Monica Feudi &amp ; Gianni Pucci

JD : Et chez Hermès ? Ils vous ont aussi donné de la liberté, n’est-ce pas ?

JPG : J’ai beaucoup aimé cela, mais j’étais déjà connu. Lorsque j’ai commencé chez Cardin, je devais « faire du Cardin », trouver des idées qui s’inscrivaient dans le style de la maison, qui était très spécifique. À HermèsJ’ai essayé d’apporter quelque chose de personnel au style de la marque tel que je le concevais. Le créateur qui a fait un travail magnifique chez Hermès, peut-être plus fidèle (à la maison) que moi, c’est Martin Margiela. Il a fait quelque chose de très intemporel et de totalement Hermès ; son empreinte était présente mais presque invisible. Il a fait quelque chose d’absolument Hermès, en toute connaissance et en tout respect. Mais à mon avis, (pour ce projet) il vaut mieux ne pas donner d’indications, parce que la dernière chose que l’on veut, c’est que beaucoup de gens s’en mêlent, cela nous compromet trop.

Julien, comment avez-vous réussi à concilier le travail de Jean Paul et votre propre vision ?

JD : C’est une nouvelle expérience pour moi, car d’un côté vous êtes un invité qui travaille avec une légende vivante, et c’est un principe unique. C’est une approche très différente de celle qui consiste à travailler pour une maison dont les codes sont XYZ. D’autre part, j’étais apporter une touche de Paco Rabanne, comment pourrait être ce dialogue entre les deux créateurs ?. Et puis il y a mon travail, qui est parfois très instinctif et qui tourne autour d’un imprimé ou d’un certain type de féminité, d’une certaine fluidité, et de l’endroit où nous voulions l’emmener, puis de la manière de le présenter. Voulons-nous que ce soit dramatique ? Nous sommes toutes les deux françaises, est-ce que je veux le souligner ou non ?

Il y a beaucoup d’humour…

JD : Ça aussi, oui, et de la générosité en abondance, ce qui est très important pour moi. J’ai voulu formuler tout cela avec une idée de volume qui devient extrême à certains endroits, et avec une certaine légèreté. Il y a beaucoup de richesse dans la proposition : on retrouve cet esprit de brocante, de vêtements qui ont vécu d’autres vies. Je trouve très français de mélanger les registres. Pour moi, il est très important d’être clair et noble, et j’espère avoir rendu hommage à la virtuosité de Jean Paul sans perdre cette touche qui fait réfléchir sur le personnage, d’où il vient et où il va.

C’est votre première incursion dans la haute couture, comment l’avez-vous vécue ?

JD : Je dois dire que le fait de travailler avec les atelier(A JPG 🙂 Votre équipe jouit d’une grande liberté dans sa façon d’aborder les choses, car c’est ce que vous leur avez inculqué. Nous avons donc beaucoup parlé de la façon dont ils voyaient cette légèreté, cette aisance, cette sorte de sophistication.

Détails du verre.

Avec l’aimable autorisation de Jean Paul Gaultier

Brodé en fil d’or.

Avec l’aimable autorisation de Jean Paul Gaultier

Jean Paul, qu’avez-vous vu jusqu’à présent de cette collection ?

JPG : Absolument rien. Et nous travaillons même sur quelque chose pour Madonna, mais je suis resté là et j’ai dit tout haut :  » Je ne veux rien voir (pour l’instant) ! Mais ce que je peux vous dire, c’est que j’ai vu le travail de Julien pour Paco Rabanne dans l’émission de Mademoiselle Agnès il y a quelque temps et je me souviens avoir vu des choses qui étaient très Paco Rabanne, mais aussi très différentes et très intéressantes. Je me souviens surtout d’un manteau tricoté avec de la peau de mouton. Je l’ai trouvé magnifique et je me suis dit : voilà. Et je pense que ce que vous avez fait dernièrement chez Paco Rabanne est vraiment bien.comme cette robe en cotte de mailles avec un drapé en cuir. Le mélange amène Paco dans un nouvel endroit, mais sans en perdre l’essence. D’un point de vue créatif, c’est très excitant de voir comment il mélange et modernise cet univers. Vous n’avez pas peur de prendre des risques et de faire des choses fortes et belles à la fois.

Rabanne, prêt-à-porter automne 2019

Alessandro Lucioni / Gorunway.com

Rabanne, prêt-à-porter automne 2020

Alessandro Lucioni / Gorunway.com

Rabanne, prêt-à-porter automne 2023

Alessandro Lucioni / Gorunway.com

Il s’agit de la cinquième collaboration haute couture de la maison, et la première depuis que Puig est devenu actionnaire majoritaire. Comment la décision a-t-elle été prise ?

JPG : Cela a été très facile. C’était une décision logique, compte tenu de la qualité du travail de Julian chez Paco Rabanne et de sa propre identité en tant que créateur. Je suis totalement libre de choisir qui je veux, le groupe ne me l’a pas imposé. Même si j’ai pris du recul, j’aime toujours la mode, donc c’est un plaisir pour moi (d’inviter un designer à collaborer) et c’est une stimulation de l’ego de voir un grand talent accepter de travailler avec ce que j’ai fait et de se l’approprier. Je n’ai jamais voulu être copié et il est essentiel que la personne qui arrive ne soit pas « inspirée » par d’autres designers. Ce doit être quelqu’un qui apporte quelque chose de nouveau à la conversation. Il est capable de faire du néo-Paco Rabanne, il peut donc parfaitement faire du néo-Gaultier..

Quelles sont les collections Jean Paul qui vous ont le plus inspiré, Julien ?

JD : J’aime la façon dont Jean Paul a travaillé avec l’idée de transformation au fil des ans : une pièce qui commence par une chose et qui se transforme en une autre. J’aime aussi l’idée de transformer le quotidien en fantaisie, ce que je trouve très poétique. Nous avons fait des broderies qui jouent avec le trompe-l’œil mais aussi avec l’idée de mouvement.en réinterprétant les codes de JPG mais en utilisant d’autres techniques. Il y a aussi un concept de combinaisons avec des chaussures incorporées, de la dentelle comme seconde peau, de la lingerie transparente et de la lingerie de nuit. vintage avec des motifs du 19ème siècle et une sorte de déshabillé Style années 1950. La collection avec Christine Bergstrom vêtue d’une « seconde peau » de paillettes Boticelli est implicite dans la robe du soir en tulle transparent brodée de guipure et renvoie au travail (de Jean Paul) autour du nu et du corps.

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