Jacquemus, Marc Jacobs et la réalité numérique : comment gérer un monde qui n’existe pas ?

Jacquemus, Marc Jacobs et la réalité numérique : comment gérer un monde qui n’existe pas ?

Un après-midi en bateau ou un carrousel de trois minutes ? Depuis des fuseaux horaires différents et aux antipodes de l’océan Atlantique, la mode d’hier, à travers les défilés de Simon Porte Jacquemus et Marc Jacobsune proposition sur notre réalité. Le premier a occupé, au moyen d’un très long tapis rouge et de plusieurs dizaines de bateaux blancs, une partie du Grand Canal du Château de Versailles et des jardins qui l’entourent. La seconde n’a occupé que trois minutes du temps des personnes présentes à la New York Public Library.

Les deux propositions ont compris une clé qui vertébre l’industrie aujourd’hui face au grand public : si vous n’existez pas dans les réseaux sociaux, vous n’existez tout simplement pas. La question qui se pose donc entre la tension de ces deux défilés n’est pas seulement de savoir quel espace il faut occuper pour revendiquer une place dans l’univers numérique et dans l’esprit de tous ses utilisateurs, mais quel espace il faut utiliser pour générer le plus grand impact. Et c’est précisément là que la réponse diffère. Jacquemus a pris le maximum. Jacobs, le minimum. Les deux créateurs ont bifurqué, ce qui soulève une question : que faisons-nous maintenant de notre réalité numérique ? L’encenser ou la remettre en question ?

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Simon et Toutou

Simon Porte Jacquemus n’a jamais caché son manque de formation technique – il a abandonné ses études à l’École Supérieure des Arts et Techniques de Paris quelques mois après ses débuts pour fonder sa marque. Au début de sa carrière, c’est d’ailleurs ce qui lui a permis de se démarquer. Ses premières propositions brillaient par la combinaison de deux éléments : son esprit et son ingéniosité, qui s’unissaient souvent pour résoudre les limites de sa capacité technique par un minimalisme déconstruit, si doux et info-intensif qu’on en oubliait la simplicité. Ses parents étaient agriculteurs – elle était spécialisée dans les carottes, lui dans les épinards – et, comme elle l’a expliqué à Emilia Petrarca, c’est cette enfance pieds nus qui lui a donné ce sentiment d’innocence dans lequel la signature et son esthétique sont imprégnées.. Sa biographie Instagram, comme un enfant qui se présente pour la première fois à sa classe, se lit ainsi : « Je m’appelle Simon, j’aime le bleu et le blanc, les rayures, le soleil, les fruits, les cercles, la vie, la poésie, Marseille et les années 80 ». La biographie de son chien, Toutou, suit la même structure. Dans son cas, il aime « les croquettes, les journées ensoleillées, les os et (ses) deux papas ». Dans le cadre de leur univers, ils s’expriment tous les deux dans le même langage car, d’une certaine manière, ils sont tous les deux pareils. Et surtout heureux.

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C’est peut-être pour cela qu’Instagram est devenu le meilleur vecteur de leur innocence. Post par post, Jacquemus (la personne) a transformé Jacquemus (la marque) en un fantasme d’évasion estivale aux senteurs de lavande, de tomate et de mer, pour vendre des sacs et oublier les soucis. Et ça marche : l’année dernière, les bénéfices de la marque ont doublé pour atteindre 200 millions d’euros. Les défilés de mode jouent un rôle de plus en plus important dans son image, car rien ne vend mieux un fantasme d’évasion qu’une escapade fantasmée. Jacquemus n’a plus besoin d’évoquer la couleur dorée du blé. Il peut désormais présenter ses vêtements dans un champ de blé. Ou, d’ailleurs, en plein Versailles.

Le Chouchou

Depuis le providentiel défilé du printemps 2020 au milieu d’un champ de lavande, les projets de défilés de Simon Porte sont devenus la pièce maîtresse de l’identité de sa marque. Selon lui, le but n’est jamais de faire plus grand après un défilé, mais de faire autre chose. Et pourtant, c’est toujours plus grand. Et très rarement différent.

La progression a été la suivante : champ de lavande, champ de blé, plage d’Hawaï, Grand Canal de Versailles. La structure, une ligne de couleur en forme de passerelle qui traverse un paysage naturel, créant une image aérienne magique et évoquant des œuvres telles que « Surrounded Islands » du duo d’artistes Christo et Jeanne-Claude, à l’image et à la ressemblance desquels Jacquemus conçoit désormais ses défilés de mode. Les vêtements deviennent donc secondaires. Mais les expositions médiatiques deviennent virales. Rien d’étonnant à cela.

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